Parce que les neurones miroir ne font pas la distinction entre nos propres comportements et ceux des autres, ils nous permettent de nous mettre à la place des autres, ils nous permettent d’être, un instant, dans la peau d’un autre.
Jean-Claude Ameisen – Sur les épaules de Darwin – France Inter – 18-08-2018
L’observation attentive des « combattants » sur le tatami montre que tori tente, généralement, de s’emparer de uke ou, plus précisément, d’une partie du corps de uke : la main, le coude. Cette tentative, souvent réussie grâce à la répétition, grâce à l’entraînement échoue pourtant assez souvent. Pas toujours un échec franc et net, mais un échec quand même quand le résultat, la manière, la perfection n’atteint pas le niveau recherché par tori. On peut toujours compenser par un peu plus d’énergie, de vitesse. Mais l’expérience met en lumière, à la longue, que ces artifices ne font que masquer la réalité qui est que le mouvement reste approximatif et ne mérite pas le contentement que l’on ressent quand tout se déroule avec fluidité et évidence.
L’expérience de uke est source d’illusion elle aussi. L’adversaire-partenaire chevronné adopte automatiquement un comportement attendu, stéréotypé, conforme. Se noue alors une relation fausse entre tori et uke où ce dernier se met en harmonie avec le premier alors qu’il revient, en principe, à tori de provoquer l’harmonie chez uke. C’est la condition sine qua non du contrôle que tori prétend, doit prétendre, avoir sur la situation.
Avoir le contrôle de la situation, c’est plus, c’est autre chose que d’avoir le contrôle du coude ou de toute autre partie du corps.
Une façon d’y parvenir, c’est de prendre le contrôle de uke tout entier. Et c’est chose compliquée que d’y parvenir par le seul contrôle corporel. Prendre possession de l’esprit de uke a sans doute de meilleures chances de succès même si cette appropriation reste partielle. C’est là que les neurones miroir entrent en action ou, tout du moins, l’harmonie qui peut se créer au travers des réponses émotionnelles instinctives qui nous animent pratiquement à notre insu. Les détecter, les observer, les expérimenter permet d’enrichir la panoplie des outils à notre disposition.
Le fonctionnement des neurones miroir est, en gros, le suivant : si je réalise une action, les neurones qui pilotent cette action s’activent aussi chez l’observateur même sans faire l’action lui même. Il suffit de peu de choses pour que cette activation se transforme en action. Pas forcément exactement la même mais similaire. On peut retrouver des signes de ça quand deux personnes marchent et, malgré leurs tailles différentes, accordent le rythme de leurs pas, quand une de nos actions provoque une réaction similaire chez l’autre.
On peut ainsi s’amuser à accorder la respiration de uke sur la nôtre (ce qui remet en question, au passage, le « précepte » qui voudrait qu’on fasse en sorte de ne pas entendre notre respiration pendant la pratique : c’est se priver d’un moyen de mise en harmonie et c’est oublier, pour qui se réclame des samouraïs en invoquant ce précepte, que ces derniers faisaient feu de tout bois et étaient très loin du code d’honneur qu’on leur accorde de ce côté de la planète) ou exprimer, de façon non verbale, une intention que uke va décoder et dans laquelle il va s’engouffrer… à ses dépends.
La respiration est à ce titre un moyen puissant de contrôle de uke. Car c’est un mécanisme normalement réflexe et rarement contrôlé de façon volontaire. Il est donc peu probable que l’adversaire le tienne comme suspect et que son contrôle soit décelé. Prendre une inspiration franche, par exemple, déclenche souvent le passage à l’action de uke. Contrôler, piloter, décider du passage à l’action de son adversaire est, évidemment, un avantage considérable. Un avantage temporel dans la mise en harmonie.
Il existe d’autres mécanismes que la respiration qui permettent, eux, de prendre un avantage spatial. Par exemple, la garde qu’on adopte ferme des possibilités et en ouvre certaines, réduisant ainsi le jeu des possibles pour uke.
En réunissant les avantages dans le temps et ceux dans l’espace, uke, sans s’en rendre compte, se retrouve dans une situation où ses décisions lui sembleront venir de lui, de son libre-arbitre, alors même que tori aura décidé du quand et du comment. C’est de ce type d’harmonie dont il est question en aikido. C’est à dire de la cohérence imposée par l’un des protagonistes à la situation et à l’adversaire et qui lui permet de les contrôler.
©2023 – Saint-Nazaire Aïkido – Reproduction interdite